Le Code de procédure civile (C.p.c.) prévoit que dans le cadre d’une action en justice, le demandeur peut, avec l’autorisation d’un juge, faire saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu’il est à craindre que sans cette mesure, le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril1.
La saisie avant jugement est une mesure dont l’unique but est de mettre les biens saisis sous la main de la justice pendant la durée de l’instance2. On dit également qu’il s’agit d’une mesure extraordinaire, puisqu’à ce stade de la procédure, les deux parties n’ont pas encore eu l’occasion d’exposer leurs prétentions respectives.
Étant donné que la saisie avant jugement a pour seul objectif d’empêcher qu’au terme des procédures, l’exécution du jugement final ne soit rendue illusoire, la loi accorde au défendeur la possibilité de fournir à la partie saisissante une garantie alternative, à la place des biens saisis3.
Toutefois, jusqu’à tout récemment, la jurisprudence4 et la doctrine5 étaient à l’effet qu’un défendeur dont l’immeuble avait été saisi avant jugement ne pouvait pas se prévaloir de cette possibilité. Ces autorités soutenaient en effet que ce recours n’était ouvert qu’en cas de saisie avant jugement mobilière.
Il semble que le juge Gilson Lachance, de la Cour du Québec soit le premier, dans un jugement rendu le 17 septembre 20046, à avoir rejeté cette interprétation constante de l’article 739 C.p.c. Dans l’affaire portée devant le juge Lachance, la défenderesse, dont l’immeuble avait été saisi, a fait valoir que cette interprétation n’était plus conforme au texte de l’article 739 C.p.c., depuis l’amendement qui y avait été apporté dans le cadre de la réforme du Code civil, plus de dix ans auparavant7.
Cette interprétation se fondait en effet sur l’ancien libellé de l’article 739 C.p.c., dont le premier alinéa se lisait alors comme suit:
Le défendeur peut éviter l’enlèvement des biens saisis en fournissant à l’officier saisissant une garantie suffisante que le défendeur choisit.
Puisque seul un bien meuble peut être « enlevé », la jurisprudence avait déterminé que cet article ne pouvait pas s’appliquer à la saisie avant jugement d’un immeuble. Or, depuis le 1er janvier 1994, le premier alinéa de l’article 739 C.p.c. prévoit que :
Le défendeur peut éviter l’enlèvement ou obtenir mainlevée des biens saisis en fournissant à l’officier saisissant une garantie suffisante que le défendeur choisit.
Le juge Lachance a reconnu que par cet amendement, le législateur avait manifestement voulu étendre aux saisies avant jugement immobilières la possibilité offerte par l’article 739 C.p.c.
On peut s’étonner que la doctrine n’ait pas relevé le caractère anachronique du jugement Ducros précité, rendu par la Cour supérieure plus de quatre ans après cet amendement. Il faut espérer que la jurisprudence subséquente adhérera à cette nouvelle interprétation, qui nous paraît tout à fait conforme à l’intention du législateur ayant motivé l’amendement de l’article 739 C.p.c. entré en vigueur il y a plus d’une décennie.
N.B. La représentation de la défenderesse devant le juge Lachance a été assurée par l’auteur du présent texte.
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[1] Art. 733 du Code de procédure civile (C.p.c.)
[2] Art. 737 C.p.c.
[3] Art. 739 C.p.c.
[4] Ducros c. Roland, (1998) R.D.I. 657 (C.S.); REJB 1998-09368 (C.S.).
[5] Notamment, Charles BELLEAU, «Les mesures provisionnelles», dans Denis FERLAND et Benoît ÉMERY (dir.), Précis de procédure civile du Québec, 4e éd., vol. 2, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 408; Code de procédure civile annoté et jurisprudence, Farnham, CCH/FM, Livre V, p. 69; Hubert REID et Claire CARRIER, Code de procédure civile, jurisprudence et doctrine, Coll. Alter Ego, 20e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004.
[6] Le résumé du jugement a été publié par la Société québécoise d’information juridique au Jurisprudence Express 2004-2044 et le texte intégral est disponible gratuitement en ligne sur le site http://www.jugements.qc.ca/.
[7] Loi sur l’application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57, art. 361.
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